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LES INTERVENTIONS d'Alain VIDALIES
Intervention d'Alain Vidalies à l'Assemblée Nationale le 28 juin 2005 sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures pour l'emploi

M. Alain Vidalies -

Après trois ans de gouvernement UMP, votre majorité elle-même évoque aujourd'hui la gravité de la situation de l'emploi pour justifier le recours aux ordonnances pour ce nouveau plan d'urgence. C'est en somme la gravité de votre échec qui justifie les ordonnances... Il est vrai qu'à chaque consultation le peuple français vous rappelle à cette lucidité, qui vous contraint à jouer le rôle de pompiers pyromanes ! Il serait cruel de rappeler vos déclarations quand vous avez adopté la loi du 29 août 2002 établissant les contrats jeunes, car enfin des objectifs, des chiffres avaient été avancés ; la réalité fut tout autre. De même pour la loi du 17 janvier 2003, première remise en cause des 35 heures : les résultats ne furent pas au rendez-vous. La remise en cause de la loi de modernisation sociale devait elle aussi faciliter le fonctionnement des entreprises et avoir un effet positif sur l'emploi ; même chose pour la loi sur le dialogue social, à laquelle vous avez ajouté au dernier moment des dispositions remettant en cause la hiérarchie des normes et le principe de faveur, règles fondamentales de notre droit du travail. Toutes ces agressions contre le code du travail pour arriver à un résultat désastreux : 250 000 chômeurs de plus et l'explosion de la précarité...
Après le 29 mai, le Gouvernement invoque cette sanction supplémentaire pour justifier le recours aux ordonnances. Ce qu'a dit à ce sujet notre collègue Geoffroy est convenu : c'est ce qu'on dit quand on est dans la majorité et que le Gouvernement veut faire des ordonnances, et nous l'avons dit aussi quand nous étions à votre place... Mais vous comme nous, en agissant ainsi, avons tort au regard des intérêts du Parlement et du fonctionnement de la démocratie. Le fait d'avoir partagé cette expérience ne doit pas nous empêcher d'avoir collectivement ce moment de lucidité, même si, je le concède, il est plus facile de le dire quand on est dans l'opposition - mais vous aurez bientôt l'occasion de vous y exercer...
Le vote du 29 mai - je crains que vous ne l'ayez pas compris - exprime une profonde crise sociale et aussi une crise démocratique. Cette suspicion de nos concitoyens à l'égard de tous les corps intermédiaires de représentation ou de médiation appelle au contraire plus de démocratie. Il fallait associer nos concitoyens à ce débat, engager une véritable négociation avec les partenaires sociaux et un vrai débat au Parlement. A l'inverse, la loi d'habilitation est un recul démocratique et une régression sociale.
Le recul démocratique affecte et la démocratie politique et la démocratie sociale. La démocratie politique, bien sûr, dès lors que l'Assemblée est privée de son droit de débattre au fond. Mais la grande victime de cette procédure est la démocratie sociale, tant sur la procédure que sur le fond. Sur la procédure : comment pouvez-vous continuer à invoquer la démocratie sociale et à souligner son importance à vos yeux, alors que votre démarche ignore les partenaires sociaux ? Vous avez vite oublié vos grandes déclarations - celles de votre prédécesseur, Monsieur le ministre - sur la nécessité d'organiser un dialogue entre les partenaires sociaux avant toute modification de la législation sociale par voie parlementaire. Cette déclaration fut faite solennellement au nom du gouvernement précédent et chaleureusement applaudie par la majorité. Mais " il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour "... Vos actes d'aujourd'hui éclairent d'un jour singulier vos déclarations d'hier.
Sur le fond : votre projet de supprimer les effets de seuil pour les salariés de moins de 26 ans révèle une conception des rapports sociaux qui remonte au début du siècle précédent. Pour que la démocratie sociale fonctionne, il faut au contraire des institutions représentatives pour tous les salariés, y compris ceux des petites entreprises. Comment justifier que les jeunes salariés aujourd'hui, et probablement les seniors demain, soient exclus des effectifs de l'entreprise pour la mise en place des délégués du personnel, des comités d'entreprise, des comités d'hygiène et de sécurité ? Sur ce point, nous avons une vraie divergence. Nous sommes favorables, au contraire, à des élections de représentativité dans toutes les entreprises, et au principe de l'accord majoritaire - ainsi qu'au rétablissement du principe de faveur et de la hiérarchie des normes, que vous avez supprimés.
A cette régression démocratique s'ajoute une régression sociale. Le contrat nouvelles embauches est en somme la possibilité pour l'employeur de licencier à tout moment et sans motif particulier. Il n'aura à évoquer ni une cause propre au salarié, ni une raison économique - les deux seuls motifs de licenciement reconnus à ce jour. A ceux-ci s'ajouterait donc la décision unilatérale de l'employeur. Mais si ce principe est inscrit dans la loi, le contrôle du juge deviendra impossible, puisque cette loi aura créé un licenciement sans cause qu'il faille énoncer.
Cette situation n'existe aujourd'hui que durant la période d'essai, seul moment où l'employeur peut en effet décider - cela a toujours existé et apparaît naturel sur tous les bancs -, sans avoir à en rendre compte, de mettre fin au contrat de travail. Et je crois que les intentions du Gouvernement étaient très claires lorsque, dans son discours de politique générale, le Premier ministre évoquait une période d'essai de deux ans. Mais vous vous êtes rendu compte après coup que la période d'essai était de construction conventionnelle et jurisprudentielle, et qu'on ne pouvait l'inscrire dans la loi. Or, aujourd'hui, le Premier ministre a utilisé un concept particulier, sur lequel, Monsieur le ministre, il vous appartient de vous expliquer. Il a en effet déclaré : " Le contrat que je propose est un contrat à durée indéterminée. Il instaure une période d'embauche, qui est un temps de consolidation de l'emploi. " Nous voilà nantis d'un concept nouveau, inconnu à ce jour, et dont le seul but est manifestement de s'exonérer des règles habituelles du code du travail. Il faut, Monsieur le ministre, que vous nous en expliquiez la définition et le choix.
Sur le champ d'application, après quelques hésitations, le Gouvernement a précisé que toutes les entreprises jusqu'à vingt salariés seraient concernées, ce qui représente potentiellement quatre millions de salariés, et 28 % des salariés du privé. L'extension de ce dispositif aboutirait évidemment à un démantèlement définitif du code du travail. Les questions en suspens sont graves : comment se déroulera la rupture du contrat de travail ? Comment les salariés seront-ils assistés ? Quels seront leurs droits précis, par rapport au droit commun ? De tout cela nous devons débattre sans que le Gouvernement ait apporté aucune réponse. Et comment ce dispositif est-il compatible avec nos engagements internationaux ? Je pense notamment à deux conventions de l'OIT. Sur ce point aussi nous attendons une réponse.
L'existence de ce nouveau contrat autorisera tous les abus. Ainsi les maigres dispositions dont bénéficient les travailleurs saisonniers risquent-elles de voler en éclats : les employeurs seront tentés d'utiliser le contrat de nouvelle embauche, dont la rupture sera possible à tout moment, plutôt que le CDD. Je crains d'ailleurs que la principale conséquence de ce nouveau contrat soit la généralisation de cette précarité. Ce que vous appelez flexibilité doit à vrai dire s'entendre ainsi. Pourtant, Monsieur le ministre, il existe d'autres marges de manœuvre. Je rappelle simplement que les cotisations ASSEDIC payées pour les emplois précaires s'élèvent à un milliard d'euros, et ouvrent sept milliards de droits... Il serait opportun de réfléchir à un système de bonus-malus, pénalisant les entreprises qui abusent des emplois précaires et diminuant les cotisations de celles -souvent les petites - qui les utilisent le moins.
S'agissant enfin du chèque emploi, qui prend la suite du titre emploi entreprise -lequel n'a concerné que 14 000 emplois l'année passée -, la référence à la déclaration d'embauche et non plus à la déclaration préalable à l'embauche laisse à penser que votre souci de simplification va trop loin, puisqu'on risque de supprimer le principal instrument de lutte contre le travail illégal : le remède serait alors pire que le mal.
Ce projet me rappelle finalement ce qu'avait déclaré le patronat à propos de l'autorisation administrative de licenciement : grâce à sa suppression, on allait créer 387 000 emplois. En fait, on n'en a créé aucun ! Je crains que les vieilles recettes que vous utilisez aujourd'hui n'aboutissent au même résultat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

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