M. Alain Vidalies
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Après trois ans de
gouvernement UMP, votre majorité elle-même évoque
aujourd'hui la gravité de la situation de l'emploi pour justifier
le recours aux ordonnances pour ce nouveau plan d'urgence. C'est en
somme la gravité de votre échec qui justifie les ordonnances...
Il est vrai qu'à chaque consultation le peuple français
vous rappelle à cette lucidité, qui vous contraint à
jouer le rôle de pompiers pyromanes ! Il serait cruel de rappeler
vos déclarations quand vous avez adopté la loi du 29 août
2002 établissant les contrats jeunes, car enfin des objectifs,
des chiffres avaient été avancés ; la réalité
fut tout autre. De même pour la loi du 17 janvier 2003, première
remise en cause des 35 heures : les résultats ne furent pas au
rendez-vous. La remise en cause de la loi de modernisation sociale devait
elle aussi faciliter le fonctionnement des entreprises et avoir un effet
positif sur l'emploi ; même chose pour la loi sur le dialogue
social, à laquelle vous avez ajouté au dernier moment
des dispositions remettant en cause la hiérarchie des normes
et le principe de faveur, règles fondamentales de notre droit
du travail. Toutes ces agressions contre le code du travail pour arriver
à un résultat désastreux : 250 000 chômeurs
de plus et l'explosion de la précarité...
Après le 29 mai, le Gouvernement invoque cette sanction supplémentaire
pour justifier le recours aux ordonnances. Ce qu'a dit à ce sujet
notre collègue Geoffroy est convenu : c'est ce qu'on dit quand
on est dans la majorité et que le Gouvernement veut faire des
ordonnances, et nous l'avons dit aussi quand nous étions à
votre place... Mais vous comme nous, en agissant ainsi, avons tort au
regard des intérêts du Parlement et du fonctionnement de
la démocratie. Le fait d'avoir partagé cette expérience
ne doit pas nous empêcher d'avoir collectivement ce moment de
lucidité, même si, je le concède, il est plus facile
de le dire quand on est dans l'opposition - mais vous aurez bientôt
l'occasion de vous y exercer...
Le vote du 29 mai - je crains que vous ne l'ayez pas compris - exprime
une profonde crise sociale et aussi une crise démocratique. Cette
suspicion de nos concitoyens à l'égard de tous les corps
intermédiaires de représentation ou de médiation
appelle au contraire plus de démocratie. Il fallait associer
nos concitoyens à ce débat, engager une véritable
négociation avec les partenaires sociaux et un vrai débat
au Parlement. A l'inverse, la loi d'habilitation est un recul démocratique
et une régression sociale.
Le recul démocratique affecte et la démocratie politique
et la démocratie sociale. La démocratie politique, bien
sûr, dès lors que l'Assemblée est privée
de son droit de débattre au fond. Mais la grande victime de cette
procédure est la démocratie sociale, tant sur la procédure
que sur le fond. Sur la procédure : comment pouvez-vous continuer
à invoquer la démocratie sociale et à souligner
son importance à vos yeux, alors que votre démarche ignore
les partenaires sociaux ? Vous avez vite oublié vos grandes déclarations
- celles de votre prédécesseur, Monsieur le ministre -
sur la nécessité d'organiser un dialogue entre les partenaires
sociaux avant toute modification de la législation sociale par
voie parlementaire. Cette déclaration fut faite solennellement
au nom du gouvernement précédent et chaleureusement applaudie
par la majorité. Mais " il n'y a pas d'amour, il n'y a que
des preuves d'amour "... Vos actes d'aujourd'hui éclairent
d'un jour singulier vos déclarations d'hier.
Sur le fond : votre projet de supprimer les effets de seuil pour les
salariés de moins de 26 ans révèle une conception
des rapports sociaux qui remonte au début du siècle précédent.
Pour que la démocratie sociale fonctionne, il faut au contraire
des institutions représentatives pour tous les salariés,
y compris ceux des petites entreprises. Comment justifier que les jeunes
salariés aujourd'hui, et probablement les seniors demain, soient
exclus des effectifs de l'entreprise pour la mise en place des délégués
du personnel, des comités d'entreprise, des comités d'hygiène
et de sécurité ? Sur ce point, nous avons une vraie divergence.
Nous sommes favorables, au contraire, à des élections
de représentativité dans toutes les entreprises, et au
principe de l'accord majoritaire - ainsi qu'au rétablissement
du principe de faveur et de la hiérarchie des normes, que vous
avez supprimés.
A cette régression démocratique s'ajoute une régression
sociale. Le contrat nouvelles embauches est en somme la possibilité
pour l'employeur de licencier à tout moment et sans motif particulier.
Il n'aura à évoquer ni une cause propre au salarié,
ni une raison économique - les deux seuls motifs de licenciement
reconnus à ce jour. A ceux-ci s'ajouterait donc la décision
unilatérale de l'employeur. Mais si ce principe est inscrit dans
la loi, le contrôle du juge deviendra impossible, puisque cette
loi aura créé un licenciement sans cause qu'il faille
énoncer.
Cette situation n'existe aujourd'hui que durant la période d'essai,
seul moment où l'employeur peut en effet décider - cela
a toujours existé et apparaît naturel sur tous les bancs
-, sans avoir à en rendre compte, de mettre fin au contrat de
travail. Et je crois que les intentions du Gouvernement étaient
très claires lorsque, dans son discours de politique générale,
le Premier ministre évoquait une période d'essai de deux
ans. Mais vous vous êtes rendu compte après coup que la
période d'essai était de construction conventionnelle
et jurisprudentielle, et qu'on ne pouvait l'inscrire dans la loi. Or,
aujourd'hui, le Premier ministre a utilisé un concept particulier,
sur lequel, Monsieur le ministre, il vous appartient de vous expliquer.
Il a en effet déclaré : " Le contrat que je propose
est un contrat à durée indéterminée. Il
instaure une période d'embauche, qui est un temps de consolidation
de l'emploi. " Nous voilà nantis d'un concept nouveau, inconnu
à ce jour, et dont le seul but est manifestement de s'exonérer
des règles habituelles du code du travail. Il faut, Monsieur
le ministre, que vous nous en expliquiez la définition et le
choix.
Sur le champ d'application, après quelques hésitations,
le Gouvernement a précisé que toutes les entreprises jusqu'à
vingt salariés seraient concernées, ce qui représente
potentiellement quatre millions de salariés, et 28 % des salariés
du privé. L'extension de ce dispositif aboutirait évidemment
à un démantèlement définitif du code du
travail. Les questions en suspens sont graves : comment se déroulera
la rupture du contrat de travail ? Comment les salariés seront-ils
assistés ? Quels seront leurs droits précis, par rapport
au droit commun ? De tout cela nous devons débattre sans que
le Gouvernement ait apporté aucune réponse. Et comment
ce dispositif est-il compatible avec nos engagements internationaux
? Je pense notamment à deux conventions de l'OIT. Sur ce point
aussi nous attendons une réponse.
L'existence de ce nouveau contrat autorisera tous les abus. Ainsi les
maigres dispositions dont bénéficient les travailleurs
saisonniers risquent-elles de voler en éclats : les employeurs
seront tentés d'utiliser le contrat de nouvelle embauche, dont
la rupture sera possible à tout moment, plutôt que le CDD.
Je crains d'ailleurs que la principale conséquence de ce nouveau
contrat soit la généralisation de cette précarité.
Ce que vous appelez flexibilité doit à vrai dire s'entendre
ainsi. Pourtant, Monsieur le ministre, il existe d'autres marges de
manuvre. Je rappelle simplement que les cotisations ASSEDIC payées
pour les emplois précaires s'élèvent à un
milliard d'euros, et ouvrent sept milliards de droits... Il serait opportun
de réfléchir à un système de bonus-malus,
pénalisant les entreprises qui abusent des emplois précaires
et diminuant les cotisations de celles -souvent les petites - qui les
utilisent le moins.
S'agissant enfin du chèque emploi, qui prend la suite du titre
emploi entreprise -lequel n'a concerné que 14 000 emplois l'année
passée -, la référence à la déclaration
d'embauche et non plus à la déclaration préalable
à l'embauche laisse à penser que votre souci de simplification
va trop loin, puisqu'on risque de supprimer le principal instrument
de lutte contre le travail illégal : le remède serait
alors pire que le mal.
Ce projet me rappelle finalement ce qu'avait déclaré le
patronat à propos de l'autorisation administrative de licenciement
: grâce à sa suppression, on allait créer 387 000
emplois. En fait, on n'en a créé aucun ! Je crains que
les vieilles recettes que vous utilisez aujourd'hui n'aboutissent au
même résultat. (Applaudissements sur les bancs du groupe
socialiste)