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Alain VIDALIES dans la Presse
 
Le Monde du 21 avril 2005 : L' "opt out", une menace sur les salariés européens
 


L' "opt out", une menace sur les salariés européens

La préservation du modèle social européen est souvent présentée comme un enjeu du débat sur le traité constitutionnel. Cette affirmation fait l'économie d'une réflexion sur l'existence même dudit modèle.

Le projet de modification de la directive de 1993 sur le temps de travail, qui sera bientôt discuté au Parlement européen, ne simplifie pas le débat. Il met en évidence une conception des relations sociales qui ressemble à des modèles existants hors des frontières de l'Union européenne (UE), caractérisés par le primat donné à l'accord individuel, au détriment de toute garantie collective.

La relation de travail se caractérise, d'abord, par l'existence d'un contrat par nature profondément inégalitaire : parce que le salarié doit subvenir à ses besoins, il est obligé de mettre sa! force de travail au service d'un entrepreneur, qui le paie. Cette position de force de l'employeur justifie l'existence d'un droit du travail plus protecteur que le droit commun des contrats, afin de protéger, notamment, la santé et la sécurité du salarié. Il implique aussi la possibilité d'organisation collective, par le biais des syndicats.

Le projet de directive heurte frontalement les fondements de cette protection. Il s'inscrit dans une tendance, lourde en Europe, à la remise en question, par le contrat individuel de travail, des garanties sociales apportées par la loi ou par la convention collective.

En 1993, a été adoptée une directive relative à l'aménagement du temps de travail. Elle fixe des principes de base du repos journalier des salariés, du temps de pause, du repos hebdomadaire, de la durée maximale de travail sur la semaine, des congés annuels et des conditions de recours au travail de nuit.

Trois de ses aspects font aujourd'hui débat.

D'abord, le temps de garde, équivalent de l'astreinte en ! France : la Cour de justice des Communautés européennes a considéré que constituait un temps de travail effectif, devant être rémunéré comme tel, la totalité du temps de garde accompli par les médecins physiquement présents dans l'établissement de santé où ils travaillent. Cette définition du temps de garde a été jugée insupportable économiquement par nombre d'Etats européens qui ont exigé la révision de la directive, pour exclure ces périodes du temps de travail effectif.

Ensuite, la durée maximale hebdomadaire de travail : la directive a posé le principe de 48 heures, heures supplémentaires incluses. Mais elle prévoit que les Etats peuvent calculer cette durée en moyenne sur quatre mois, permettant ainsi des durées de travail effectives au-delà des 48 heures hebdomadaires.

Enfin, il y a la clause de l'opt out, dite "clause dérogatoire individuelle" : la directive de 1993 permet, "à titre provisoire", à un Etat membre de ne pas appliquer le princip! e de la durée maximale hebdomadaire de travail. Si cette clause est autorisée par l'Etat, l'employeur doit simplement obtenir l'accord du salarié concerné pour lui appliquer une durée supérieure aux 48 heures par semaine. Ce système, introduit à la demande du Royaume-Uni, n'est véritablement utilisé que par lui, si bien qu'environ 20 % des travailleurs britanniques du secteur industriel travaillent aujourd'hui plus de 48 heures par semaine.

Que prévoit la proposition de révision de cette directive, présentée aujourd'hui par la Commission ? Concernant le temps de garde, le principe est maintenant clair : le temps passé par le salarié à attendre d'éventuelles directives de l'employeur, même s'il doit être physiquement sur le lieu d'exécution du contrat, n'est pas du temps de travail. Sur les durées maximales, elle prévoit de faire passer la période de référence pour le calcul des 48 heures hebdomadaires de quatre... à douze mois.

C'est une annualisation pure et s! imple de la durée maximale de travail, "sous réserve de la ! consultation des partenaires sociaux et de l'encouragement du dialogue social" (sic).

Enfin, le projet maintient et institutionnalise le système de l'opt out. Celui-ci serait conditionné à une autorisation préalable, par accord collectif, "dans les cas où de tels accords sont possibles aux termes de la loi ou des pratiques nationales". Dans le cas contraire, là où il est effectivement appliqué, il continuerait à être soumis au seul accord individuel. Il serait en outre encadré de manière à "prévenir les abus et assurer que le choix individuel du salarié est entièrement libre".

Rappelons que, sauf à ce que le chômage soit intégralement éradiqué dans toute l'UE, le "choix individuel" du salarié face à son employeur ne sera, par définition, jamais libre. Or pour les travailleurs ayant accepté cette clause de dérogation individuelle, la Commission, dans sa mansuétude, fixe la durée maximale de travail hebdomadaire à... 65 heures !

En dé! finitive, la révision de la directive sur le temps de travail marque trois reculs majeurs : l'exclusion du temps de travail effectif du "temps de garde", la faculté d'annualiser la durée maximale hebdomadaire, enfin l'institutionnalisation de la clause de renonciation individuelle, qui permet aux employeurs d'imposer une durée hebdomadaire de travail pouvant aller jusqu'à 65 heures.

Le recours à la négociation collective est systématiquement dévoyé. La Confédération européenne des syndicats ne s'y est pas trompée et s'est fermement opposée à l'ensemble du texte.

Comment ne pas faire le lien entre cette évolution de la législation communautaire et l'action persistante du gouvernement Raffarin en matière sociale ? Les ministres François Fillon, Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher ont systématiquement favorisé un dé-tricotage du droit du travail, doublé d'une prime à l'accord individuel par rapport à la loi et à l'accord collectif.

La loi Fillon sur ! le dialogue social est emblématique : elle a généralisé les po! ssibilités de déroger par accord d'entreprise à la loi et aux conventions collectives de niveau supérieur, dans un sens défavorable aux salariés. De même, le gouvernement prétend s'opposer à la généralisation de l'opt out au nom du "modèle social européen".

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